Pourquoi les éditions Le Temps de l’Arc

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    Avant de dire : pourquoi une maison d’édition, de surcroît en poésie ?

il s’agit de dire : pourquoi la poésie ?

 

    Quelque chose vient avant les mots et, pourtant, est au cœur des mots.

Ce sont :

    les pulsations du sang, qui font battre le cœur ;

    le souffle, qui rythme notre respiration et peut être ralenti, ou accéléré,

comme le cœur, d’ailleurs ;

    les pulsations des ondes sonores ;

    il n’y a pas que les mots, il y a toutes sortes de choses dans les sons :

    les voix, leur énergie, le rire, les pleurs, le sérieux, la légèreté ;

    et les mouvements.

    Cette intensité des perceptions qui submerge. Le dedans, le dehors, 

qui se compénètrent totalement.

    Et soudain, quelque chose est venu lentement, mais qui est saisi 

par des fulgurances : la merveille des mots, qui ont des ors, des eaux, 

des directions, parfois des laves, des sauvageries, des opacités, 

la méchanceté, les noirs, mais aussi, la tendresse, la douceur.

    Les mots, quelque chose qui est comme illimité, occupent tout l’espace.

C’est la découverte que le monde peut être lu, peut être dit, peut être

cartographié. Ainsi, les mots sont à la fois quelque chose d’immense, 

dans quoi je suis roulée, enveloppée, bercée, ça sature tout l’espace, mais 

en même temps, cet illimité permet de poser certaines limites, de contenir.

    Les mots vont d’abord me stupéfier, profondément, absolument. Car 

les mots sont extrêmement puissants, ils peuvent la guerre, ils peuvent 

le mensonge, ils peuvent l’amour. Tant de choses. Et le langage est aussi

l’accès, un accès premier, fondamental, à la liberté, pour soi et pour autrui.

 

    Les mots m’ont rendue sensible à ce qui n’est pas immédiatement visible,

mais qui est pourtant présent dans le visible. Cette perception des mondes,

des strates, de ce qui se tait, de ce qui n’a pas de mots pour se dire.

    L’un de ces premiers mondes est un monde premier, celui des éléments

 naturels, celui du corps. L’eau, le feu, le vent, les nuages, les arbres, 

les herbes, mettent à vivre notre peau, notre corps, si fort.

 

    Il existe des paroles très brèves et pleines de mystère, qui sont comme 

des secrets que l’on surprend, comme ça ! entre les mondes. Par exemple :

« Sésame, ouvre-toi ! » Ces sons extraordinaires ! Enfant, je savais tout à fait 

ce qu’était le sésame, ma mère en avait des graines dans sa cuisine. Alors, 

qu’est donc CE sésame, qui fait que des portes, des trésors, des mondes, s’ouvrent ? 

 

   Le langage m’a édifiée, commun à tous ceux qui parlent une même langue,

 mais, en poésie, il ne va pas obéir exactement aux us et coutumes. Pour moi,

les mots sont un matériau vibrant, vivant, plein d’énergie et de beauté. 

Ils deviennent paroles, phrases, et ce sont mes guides. 

Ils me permettent d’explorer, mais encore de m’unir. M’unir 

aux éléments naturels, aux autres et à moi-même.

    Ces mondes élémentaires à quoi ils me relient sont essentiels et 

très mobiles : ils m’apprennent la transformation, le point de non-retour, 

les cycles. Les arbres, qui sont nos maîtres, en sont un exemple éclatant.

    

   Comme les mots, je suis moi-même un élément vivant, vibrant, petit 

dans un ensemble gigantesque et ce petit peut être grand, océanique,

impétueux, par la force juste du poème. Mais je suis aussi une fillette

qui se parlait à elle-même, à mi-voix, dans les nuits où elle avait peur,

qui aujourd’hui, veut entendre une voix, des voix, dans la solitude

 présente dans toutes nos vies. 

    Là où il y langage, il y a nécessairement présence d’autrui. 

 

    Je n’avais pas un oncle d’Amérique, mais j’ai eu une tante en Italie, 

qui a laissé quelque argent à ses neveux. À ce petit héritage, s’est ajouté

celui de mon frère. Ils s’appelaient Louise Binda Bregani et André Bregani. 

J’ai su alors que je pourrai donner cours à d’autres voix que la mienne.

Ainsi sont nées les éditions Le Temps de l’Arc, afin que poètes et poésie

y tirent quelques-unes de leurs flèches. 

 

    Anne Bregani